Peut-on se réveiller tous vaccinés?
- Emma Gagnon Naudot
- Sep 1, 2020
- 3 min read
Updated: May 13, 2021
Mon amie qui habitait lors du premier confinement dans une colocation de 15 personnes partage désormais un nouvel appartement avec 10 nouveaux colocataires situé à deux pas du métro Berri-UQAM. Un immense espace rempli d’artistes, d’ingénieurs, de français, de québécois, de jeunes adultes et d’un vieux de 45 ans, tous sous la garde de Mike, un itinérant chaleureux de St-Catherine toujours à son poste devant la porte du 928 tel un douzième colocataire.
C’est une commune d’individus singuliers et authentiques, tous inspirants et bordéliques d’une manière ou d’une autre. Fréquentant l’un d’entre eux depuis quelques semaines et ayant ainsi accès à toute cette vie sociale, ils ont été les cobayes sur lesquels j’ai pu tester mon Moi que je considère évolué et amélioré. Suis-je désormais assez bien dans ma peau pour communiquer avec autrui sans me comparer, me diminuer, et m’angoisser?
Un soir, après être revenue de cet appartement plein d’inconnus et de nouveauté, je racontais fièrement mes aventures sociales à mon frère lorsqu'il m’a posé une question très censée: « Ça ne te déprime pas des fois d’être entourée de personnes particulièrement charismatiques, émerveillées et sûres d’elles-mêmes? Ça ne te remet pas en question sur ce que tu es? »
Pour l’instant, non.
Je me sens simplement contente d’être capable d’apprendre à les connaître. D’être capable de leur parler, de leur poser des questions et de m'intéresser à leurs réponses. Je me sens chanceuse, surtout dans ce contexte solitaire de distanciation, de pouvoir découvrir, tel les livres me le permettaient autrefois, de nouvelles façons de voir et de vivre la vie. J'apprends de ce qu’ils peuvent bien me partager et j’ai confiance qu’ils font de même avec moi. Si ce n’est pas le cas, ce sont eux les perdants de ces échanges.
Malgré la puissance et l’euphorie que je ressens depuis que je me sais assez confiante pour affronter le regard des autres, je me désole pour ceux que la pandémie a tiré vers le bas. Tous ceux comme mon frère qui ont commencé le cégep (ou l’université), cette étape primordiale dans l'émancipation de soi, dans la noirceur de leur chambre, seuls et désemparés. Tous ceux pris dans un quatre et demi avec leurs enfants à la maison et l’internet chavirant. Tous ceux sans ressource et sans aide qui ne peuvent aller prendre l’air le soir pour décompresser sans risquer de se faire donner une amende. Tous ceux pris dans un CHSLD lugubre qui n’ont plus le droit aux visites de leurs proches. Tous ceux qui travaillent (ou travaillaient) dans la restauration, le divertissement et la santé et qui ont vu leurs heures de labeur drastiquement augmenter ou diminuer. Tous ceux dans la rue, peinant à survivre, qui se sont vus déloger sans pitié par les policiers de l'État.
Tous ceux qui ont perdu la tête et qui n’ont pas assez de soutien ou d’argent pour la retrouver.
Encore une fois, je ne peux décrire l’immensité de ma culpabilité face à l’heureux (pour moi) hasard qui m’a fait naître québécoise, blanche, éduquée, aisée et femme (on peut dire ce que l'on veut des inégalités que l’on vit en tant que femme, mais au moins nous n’avons pas à déconstruire et reconstruire en nous une masculinité malveillante, violente et toxique).
Après un an (bientôt et demi) de couvre-feu, de confinement et de pandémie mondiale, même moi, privilégiée et heureuse avec moi-même que je suis, j’en suis à bout.
Je suis enfin prête, comme (je l’espère) le reste d’entre nous, à appuyer sur Play.
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