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  • Writer's pictureEmma Gagnon Naudot

La tête dans les nuages virtuels


J’aurai vingt-deux ans en mai et je me sens déjà vieille.


J’ai rarement été soucieuse ou méticuleuse envers mon hygiène personnelle. Je me lave presque tous les jours malgré la honte qui me démange incessamment le bas ventre dès que je me prélasse dans l’eau fumante de mon bain, accusant mon gaspillage d’eau et mon hypocrisie. Les dents, c’est plus compliqué. Je les brosse rapidement le matin, mais le soir, il est rare que je me décide à quitter la tiédeur de mon lit pour l’air glacial de ma salle de bain dans l’unique optique de nettoyer mon émail dentaire. Sous le confort de mes couvertures, je rationalise cette paresse en tentant de me convaincre que quelques heures de plus sans récurage et Colgate ne peuvent être bien néfastes. Ma peau, elle aussi, je m’en occupe peu. Je me lave le visage de temps à autre et j’essaie d’y appliquer des sérums et des crèmes, mais je finis souvent par succomber à la tentation de percer mes boutons et d’essentiellement empirer mes résidus d’acné juvénile.

Néanmoins, j’ai la peau douce et lisse, les dents intactes et les cheveux épais et doux.


Je suis une jeune femme; tout l’indique. J’ai pourtant l’absurde impression d’avoir trop vécu.


Il y a des matins où mon corps semble trop lourd pour fonctionner, où ma tête est tellement épuisée de penser, de juger et de projeter qu’elle veut s’éteindre pour la journée. Ces jours-là sont ceux que ma famille qualifie de perdus. Mon beau-père, en particulier, considère que rester « effoirée comme une enfoirée dans mon lit toute la journée » alors que lui se « démène au travail sans arrêt depuis vingt-ans » est honteux, irrespectueux et complètement ingrat ; je paraphrase légèrement, mais le sentiment reste le même. Il faut dire que d’un œil extérieur et objectif, il est vrai que je ressemble parfois à une loque humaine aux yeux vitreux rivés sur l’écran de son cellulaire qui s’abrutit à coup de vidéos YouTube aux titres peu orthodoxes tels que « Comment chier dans l’espace » ou encore « J’ai fait un gâteau d’anniversaire pour fêter les 65 ans de mon chat ».

Il est d’autant plus difficile d’associer la futilité de l’information dont je me bourre le crâne à quoi que ce soit de pragmatique et positif lorsqu’on n’a jamais eu accès à toute cette insignifiance durant notre jeunesse. Mes parents, remplis de nostalgie, voient cette perte de temps comme une injure à ma jeunesse et ne peuvent la rationaliser que par la déprime, l’addiction ou la simple stupidité. Ils ont raison sur certains points. Ma consommation d’internet augmente inévitablement lorsque je me sens quelque peu seule, triste ou vide ; c’est un moyen de chasser les mauvaises pensées, la solitude ou l’ennui pendant une courte période, mais ce n’est en aucun cas un symptôme de ma déprime. Ma dépression (MA parce que ça m’appartient, parce que je l’ai vécu entièrement avec moi-même et personne ne la vivra exactement de la même manière) je m’en souviens peu, mais je sais que c’est un des moments de ma vie adulte où j’ai le moins touché à mon cellulaire. Non, ma consommation de YouTube est surtout liée à mon anxiété. Avoir les yeux rivés sur autre chose que soi, c’est un moyen de décompresser. C’est appuyer sur pause. Ce n’est pas du temps perdu ; c’est du temps investi. Ce n’est pas juste de la dépendance, c’est aussi de la bienveillance envers moi-même. Je me donne le droit, sans regret ni embarras, d’arrêter d’être pour mieux vivre le lendemain.

Il faut aussi garder en tête que la célébration des 65 ans de ce chat m’intéresse. Tout ce que je visionne m’intéresse et, au risque de détruire ma crédibilité, tout ce que je visionne est d’une manière ou d’une autre une source d’apprentissage. Personne ne me convaincra que regarder pendant 30 minutes la vie quotidienne d’un inconnu est improductif. C’est au contraire un bon exercice d’altruisme. Ça me fait sortir de mon individualisme et ça m’aide à relativiser ce que je vis tout en me montrant d’autres façons de vivre dans la joie et le rire ; c’est quand même un bon début. En plus, ça me divertit, ça me fait rire, et qui n’est pas complètement subjugué en apprenant que les astronautes doivent se pratiquer avant de partir dans l’espace à bien aligner leur trou de cul avec le tuyau qui tiendra lieu de toilette ?


Donc, oui, depuis mars dernier, depuis mars 2020, depuis la covid-19, depuis la pandémie mondiale, je passe plus de temps dans mon lit, la tête bien écrasée dans mon oreiller engourdit, le corps enseveli sous le poids de mes couvertures, à regarder des vidéos dites futiles et je n’en ai pas honte. C’est à ce point que je suis dans ma vie. Je n’ai rien d’autre à faire par moment; autant me faire plaisir.





Si jamais vous êtes curieux comme moi sur l'hygiène des astronautes...



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