top of page
Search
  • Writer's pictureEmma Gagnon Naudot

Une séquestration festive



2020.



Ironiquement, le vendredi 20 mars, deux jours avant l'annonce du tout premier confinement, j’ai passé la soirée chez une amie en compagnie de ses 14 colocataires et de tous leurs invités. De la bière et du weed à volonté, des corps entassés dans un minuscule salon, des allers-retours de fumeurs grelottants, de la musique alternative si forte qu’on s’entend à peine... C’est dans cette ambiance festive et insouciante que j’ai, pour la dernière fois de l’année, atchoumer sans m'attirer des regards inquiets et méfiants, que j’ai participé à un cercle de danse et que je suis rentrée chez moi vers les petites heures du matin.

Étrangement, ce ne fut pas le début de la fin. Ce fut seulement le début.

Un début étrange tout de même, je vous l’accorde, mais aussi chaleureux. Excitant. Pour moi en tout cas. On venait de m’annoncer que l’école était mise en pause et que ma famille était obligée de rester à la maison à mes côtés, sans contact extérieur. Mon confinement a commencé au chalet de mon père, avec ma meilleure amie, à écouter les Rush Hour, à manger et boire comme des porcs, à jouer aux cartes avec mes petites sœurs et à discuter de tout et de rien autour du feu de foyer qui crépitait incessamment dans la douceur des nuits de région.

Les cours ont malheureusement fini par reprendre, mais puisque j’en étais à ma huitième session de cégep, le niveau de stress était plutôt bas, sinon pas inexistant. Après un mois de fainéantise, je suis retournée à Montréal passer du temps chez ma mère. C’était un autre monde, tout autant accueillant, mais un peu plus excessif et fiévreux; comme dirait Toupie à son acolyte muet Binou: « C’était comme un rêve ».



Mon beau-père travaillait à la maison, ma mère travaillait quatre jours sur sept et ma sœur et mon frère avaient l’école à distance. Il faut préciser que mes parents sont des êtres très sociaux, plus que habitués à recevoir de multiples amis lorsque la fin de semaine débarque. En ces temps de quarantaine, nous, leurs enfants, avons combler ce vide, repoussant le moment inévitable où il finira par les gruger de l’intérieur. Je suis donc arrivée avec mes sacs accrochés aux bras, dans un monde parallèle où les progénitures étaient devenues des égaux, des camarades, des alliés et surtout, des amis. Tous les jeudi, vendredi et samedi soirs étaient consacrés aux jeux de sociétés, aux cafés amaretto et aux jujubes stupéfiants en famille (excluant ma petite sœur de ces deux derniers, évidement). Nous avons passé un nombre d'heures incalculable dans notre salle à manger, à fixer la planche de jeu des Aventuriers du rail et, dans le cas de ma sœur et moi, à tricher subtilement en s’échangeant nos cartes par dessous la table. On discutait, on faisait baver le perdant, on écoutait mon beau-père chialer sur l’américanisation des jeunes québécois, on ignorait les commentaires sans intérêt de ma mère et on riait aux larmes. Et ainsi de suite pendant plusieurs semaines.


Je dois avouer que j’ai été un peu triste lorsque le déconfinement de juin a commencé.


Il faisait beau et chaud, les parcs étaient à nouveau remplis de fanatiques de spikeball et d’escalade, les chiens sniffaient avec extase les derrières négligés de leurs amis poilus retrouvés et les propriétaires de restaurant montréalais sans terrasse tentaient tant bien que mal de retenir leurs larmes et jalousie.


Ma famille avait de nouveau le droit d’aller voir ailleurs. Je fréquentais quelqu’un à l’époque, mais cette rupture familiale fut bien plus douloureuse que la conversation irrévocable que j’ai dû avoir cet homme (garçon?) qui voulait désespérément se faire aimer, peu importe par qui. Bien que j’ai d’abord regretté la distance qui nous séparait de nouveau, j’ai fini par comprendre qu’elle était au contraire arrivée au bon moment, avant que l’euphorie de l'absurdité de la situation ne se dissipe pour faire place à un quotidien morose et suffocant (autant qu’il peut l’être lorsqu’on est une famille blanche, québécoise, soudée et bien nantie partageant un 8 et demi incluant un sous sol et une cour arrière ).

Je me sens choyée d’avoir eu la chance de partager autant de moments avec mon propre sang lors d’une période de ma vie où je me cherchais encore. Le début de la vie adulte est étrange. Surtout lorsqu’on vit encore chez ses parents. On devient une personne à part entière, mais on se sent encore incomplet. On se cherche sans le vouloir, et parfois sans même le savoir; c’est épuisant, frustrant et c’est long, mais entouré de ceux qui accepteront ce que tu es et ce que tu deviens tout en te jugeant quand il le faut et te guidant dans la bonne direction, c’est beaucoup plus simple et harmonieux.



Recent Posts

See All

Mieux vaut rire qu'en pleurer (le 3/4 du temps)

Je déteste faire des choix. Ça me répugne. Je suis tellement indécise que mon indécision est un sujet régulier de moquerie entre mon père et moi. Il me taquine constamment à coup de « choisir, c’e

bottom of page