Le pénis, le road-trip et la pomme
- Emma Gagnon Naudot
- Jan 1, 2021
- 4 min read
J’ai fait une dépression en automne 2018.
Encore aujourd’hui, je ne sais pas vraiment pourquoi. C’était surement dû à plusieurs choses; j’avais de la difficulté à gérer mon anxiété, je n’avais pas beaucoup confiance en moi, je me cherchais un peu…
L'été qui a précédé, j’avais eu mes premières vraies expériences sexuelles avec un garçon qui était surtout intéressé par mon corps. Je n’étais pas en amour, mais j’étais tout de même naïve et je recherchais de l’affection et de la complicité; je voulais vivre ce que j’avais lu dans Aurélie Laflamme et lui voulait vivre ce qu’il avait vu sur Pornhub. Ça ne s'est pas très bien fini; il n'a pas réussi à bander un soir lorsque j’étais chez lui. J’étais nerveuse mais détachée; il était plus vieux et plus confiant et je voulais avoir l’air de savoir ce que je faisais. La première fois que j’ai donc touché l’organe masculin, tant acclamé, critiqué et écervelé, ce fut une expérience amollissante remplie de malaise et d’insécurité. Je ne crois pas l’avoir revu après cela. Si je me souviens bien, il m’avait dit être occupé et son ami m’a par la suite envoyé un Snap Chat d’une fête où ils étaient, tout en m’écrivant qu’il ne voulait plus vraiment me revoir. La gloire du pénis frappe une fois de plus ! Donc, en somme, une fréquentation quelque peu destructive qui a déréglé mon rapport à la sexualité (et aux hommes pendant un certain temps).
Malheureusement, c’est à la fin de ce même été démoralisant que la cerise s’est posée sur le gâteau. Ça a bien commencé; ma famille maternelle et moi, soit ma mère, mon beau-père, mon frère de 3 ans mon cadet et ma petite sœur de 9 ans, sommes partis faire un road trip aux États-Unis: Las Vegas, Arizona, Nevada, Utah, Los Angeles et San Diego. Un beau voyage en perspective, mais ce n’est qu’après 4 heures d’auto que mes parents se sont rendus compte de leur erreur; enfermer une famille qui s’adore mais qui se chicane constamment et passionnément dans une caisse de métal pendant deux semaines est la pire idée qu’ils ont eu. Je ne regrette pas ce voyage, j’ai vu la nature dans son immensité et sa grandiosité et nous avons tout de même eu de beaux moments, mais c'était la goutte de trop qui a fait déborder ma sanité.
C’est dans cette même caisse de métal, suite à une querelle absurde et interminable que j’ai fait pour la première et dernière fois une crise de panique. Ce n’est pas ce que j’ai vécu de plus douloureux, mais c’est ce que j’ai vécu de plus effrayant. J’étais certaine que j’allais mourir. Une main me serrait les poumons et le cœur en même temps avec une force inimaginable; ma tête faisait croire à mon corps que je manquais d’air. C’est terrifiant parce que c’est un moment où l'on a plus aucun contrôle sur soi-même.
Étrangement, c’est la musique, le bruit réconfortant de Passenger qui m’a fait reprendre les commandes. L’unique fois que mes oreilles ont été de service.
Je crois donc que c’est un mélange de tout ça. De la relation que j’avais avec moi même ainsi que des expériences plus ou moins désagréables que j’ai vécu par la suite.
La dépression en tant que telle, je ne m'en souviens pas vraiment. Je sais que j’habitais temporairement chez mon père; j’avais pris cette décision en revenant de ce voyage désastreux pour ma santé mentale. Je sais aussi que j’en étais à ma deuxième session de soins infirmiers, que j’allais bientôt commencer mon deuxième stage à l'hôpital et que j’étais extrêmement stressée. Je me souviens que j’avais de la difficulté à retenir la matière de mes cours, que j’étais toujours épuisée et que je ne voyais plus personne. C’est quand j’ai passé une fin de semaine presque entière à dormir et à ne manger qu’une pomme par jour tout en versant deux trois larmes par ci par là que je me suis décidé à demander de l’aide. J’en avais parlé à une amie de l’époque et elle m’avait grandement encouragé à répéter tout ça à mes parents. Étonnamment je suis allée voir mon papa en premier, alors que j’ai l’habitude de parler des choses sérieuses avec ma mère et garder les blagues et l’absurdité pour lui. En compagnie de ma belle-mère, il m’a regardé éclater en sanglots.
Puis il a fait de même.
C’était un moment très étrange, je n’avais jamais vu mon père pleurer. Pas qu’il ne soit la figure cliché de la masculinité toxique, mais ce n’est pas non plus l’homme le plus à l’aise avec sa sensibilité et son empathie. Il a changé après ce moment lui aussi, je l’ai vu, je le vois. Il est plus ouvert avec ses émotions. Il a moins peur de les montrer, de les partager et ça semble lui faire du bien.
C’est en partie pour ça que je ne regrette pas ma dépression. C’est aussi grâce à elle que je me suis trouvée et aussi cliché et ringard que ça peut sembler, c’est tout à fait la vérité.

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